Le désir
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Le désir

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Clefs concours Culture générale

Ont contribué Véronique Bonnet et Frédéric Brétécher

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Fiche technique

Référence
460575
ISBN
9782350305752
Hauteur :
21 cm
Largeur :
15 cm
Nombre de pages :
240
Reliure :
broché

Sommaire

 Avant-propos          9

 Œdipe Roi de Sophocle ou la transgression du désir  11

Narcisse ou le désir au miroir      19

Platon ou le désir rendu désirable        25

Aristote ou le désir entre audace et prudence            38

Stoïcisme et Épicurisme dans l’ascèse du désir 44

Les trois monothéismes, le désir et l’interdit   52

Daphnis et Chloé de Longus ou le désir À l’école de la nature      59

Descartes, le désir et le monde   67

Dom Juan ou le désir au défi        76

L’Avare de Molière, ou le paradoxe d’un désir dévorant    83

Racine, La tragédie du désir        92

Hobbes et la reconfiguration des désirs           105

Spinoza et l’énergie des désirs     109

Marivaux, ou les jeux du désir. Les fausses confidences       115

De Mandeville à Sade : la prospérité du désir 123

Kant et le pouvoir de désirer       130

De Hegel à Marx : le désir comme dynamique sociale           138

Baudelaire ou le désir de beauté           145

Stendhal ou la sensation du désir          152

Nietzsche : désir et volonté de puissance          160

Freud : le désir entre libido et sublimation      167

Proust ou le désir de la vraie vie 175

Sartre ou l’angoisse du désir      184

Camus : Noces ou la présence du désir   190

Le désir nu ou phénoménologie de la photographie   196

Du biopouvoir de Michel Foucault au désir pris dans la Toile       202

Outils

Méthodologie        213

Se repérer dans le parcours du désir     219

Chronologie           224

Œuvres citées          228

Glossaire     234

Véronique Bonnet, ancienne élève de l'ENS et agrégée de Philosophie, enseigne la culture générale en ECS au lycée Janson de Sailly.

Frédéric Brétécher, professeur agrégée de Lettres classiques, enseigne la culture générale aux ECS du lycée externat Chavagnes à Nantes.

Dom Juan ou le désir au défi

"Quelle est la force par laquelle Don Juan séduit ? C'est celle du désir : l'énergie du désir sensuel. Dans chaque femme, il désire la féminité tout entière, et c'est en cela que se trouve la puissance, sensuellement idéalisante, avec laquelle il embellit et vainc sa proie en même temps. Le réflexe de cette passion gigantesque embellit et agrandit l'objet du désir qui rougit à son reflet, en une beauté supérieure. Comme le feu de l'enthousiaste illumine avec un éclat séduisant jusqu'aux premiers venus qui ont des rapports avec lui, ainsi, en un sens beaucoup plus profond, éclaire-t-il chaque jeune fille, car son rapport avec elle est essentiel. Et c'est pourquoi toutes les différences particulières s'évanouissent devant ce qui est l'essentiel : être femme. Il rajeunit les vieilles de telle sorte qu'elles entrent au beau milieu de la féminité, il mûrit les enfants presque en un clin d'œil ; tout ce qui est féminin est sa proie."

Kierkegaard, Ou bien… ou bien…

La figure de Don Juan est apparue sous la plume du moine dramaturge Tirso de Molina en 1630 dans sa pièce El Burlador de Sevilla y convidado de piedra et s’est enrichie de nombreuses variations dont les plus fameuses sont sans doute celles de Molière (Dom Juan, 1665) et Mozart (Don Giovanni, 1787). En est né un mythe qui fait de Don Juan l’incarnation du désir, ou du moins d’un désir indéfiniment mis au défi de lui-même en même temps qu’il défie le monde.

“L’énergie du désir sensuel” ou le désir rime avec jouir

L’air du catalogue du Don Giovanni de Mozart donne une étendue assez large de l’énergie que Don Juan déploie, dans une espèce d’élan vital, à partir à la conquête de femmes, mû par un désir que Kierkegaard qualifie de “vrai, triomphant, irrésistible et démoniaque” (Ou bien… ou bien…) avant de conclure :

“Il jouit de l’assouvissement du désir ; dès qu’il en a joui, il cherche un nouvel objet, et ainsi de suite.”.

Cette énergie vitale chez Don Juan ne tient pas, comme chez les épicuriens, à la recherche d’une jouissance qui apporterait la tranquillité de l’âme et le repos du guerrier après la conquête. Bien au contraire, il n’est jamais question de repos chez ce séducteur qui, chez Molière, I, 2, dessine son propre portrait :

"Quoi ! tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus d’yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d’un faux honneur d’être fidèle, de s’ensevelir pour toujours dans une passion, et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non, la constance n’est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J’ai beau être engagé, l’amour que j’ai pour une belle n’engage point mon âme à faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu’il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d’aimable ; et, dès qu’un beau visage me le demande, si j’en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l’amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le cœur d’une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès qu’on y fait, à combattre, par des transports, par des larmes et des soupirs, l’innocente pudeur d’une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu’elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur, et la mener doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu’on en est maître une fois, il n’y a plus rien à dire ni plus rien à souhaiter ; tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d’un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre cœur les charmes attrayants d’une conquête à faire. Enfin il n’est rien de si doux que de triompher de la résistance d’une belle personne ; et j’ai, sur ce sujet, l’ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes désirs : je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et, comme Alexandre, je souhaiterais qu’il y eût d’autres mondes pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses."

Le désir du Dom Juan de Molière, qui se sent “un cœur à aimer toute la terre”, est ainsi fait d’un appétit insatiable, mais qui est insatiable par le fait que jamais il ne se sent contenté de ce dont il se nourrit, car ce ne sont peut-être pas véritablement les femmes que désire Dom Juan, mais toutes les femmes de “toute la terre”, c’est-à-dire aucune en particulier. En chaque femme Dom Juan ne désire que la figure, une facette d’un idéal féminin qui est le véritable objet de sa quête. C’est la raison pour laquelle le désir sensuel, qui est évoqué à travers les allusions aux “charmes attrayants” qui frappent les yeux à la vue d’une “jeune beauté”, d’une “belle personne”, se mêle à une autre jouissance qui est celle de l’acte de conquête, qui ne procure satisfaction que dans la mesure où il demeure à l’état de conquête (“forcer pied à pied toutes les petites résistances”, “conquête à faire”, “triompher de la résistance”, “l’ambition des conquérants”, “perpétuellement de victoire en victoire”, “impétuosité”, “comme Alexandre”).

Ainsi l’objet de la conquête, qui suscite le désir, ne peut jamais être véritablement l’objet conquis, car sitôt conquis il perd de sa saveur et menace le désir. L’objet véritable de la conquête est autre et toujours en attente ; c’est un objet qui manque. Désirer c’est donc jouir et se réjouir, dans une dimension qui peut toucher au mystique en ce que le désir est désir d’accession, à travers l’immanence de la conquête jamais satisfaisante d’une femme, à un idéal transcendant qui sans cesse échappe et vers lequel on tend. Et si ce que l’on désire se tient (sistere/stare) hors (ex) de la réalité de l’objet mais dans l’idéal dont il est la figure, alors désirer, à l’infini, peut bien être véritablement exister (ex-sistere).